Gégé les Maorés!

Après un début d’année aux Philippines, et quelques semaines de vacances, me voilà reparti pour de nouvelles aventures, toujours en mission pro, mais en France cette fois-ci!

« Ah bon? Où ça? T’es où??? Nooooon, pas cette France là les amis, l’autre France: celle qui existe, on le sait bien, mais dont on n’entend parler que quand il y a des problèmes… (Non, je ne suis pas en banlieue parisienne, bien essayé! 😉 ) Allez, nouvel indice: je représente 1% du territoire maritime français, je suis situé dans le canal du Mozambique et l’Océan Indien, je suis je suis … ?

Ah Mayotte! Que c’est bon d’enfin atterrir dans notre beau pays, avec ses belles rues propres, son service de ramassage des ordures performant, son environnement sécurisant, sa culture anti-corruption, son eau courante potable au robinet, et ses habitants qui font la gueule! Ben en fait non, pas vraiment, c’est tout l’inverse ici: bienvenue dans cette nouvelle aventure dans ce petit coin de France!

L’ile de Mayotte, vue par le satellite Sentinel 2, le 14 aout 2021

L’arrivée

Après un voyage de près de 24 heures avec une escale à La Réunion, me voilà enfin arrivé à l’aéroport de Dzaoudi, en « Petite Terre » mahoraise. On est en début d’après midi, le soleil cogne sévère, et mes deux grosses valises sont là: wonderful! Ma fidèle compagne du séjour sera une Dacia Sandero (on voit d’ailleurs très vite où Dacia fait son chiffre d’affaire: il y en a partout!) et c’est parti pour deux mois sur une île pleine de mystères, à essayer de me faire ma propre idée entre actualités pas franchement glorieuses, et réalités du terrain.

Un peu d’Histoire-Géo

Loin de moi l’idée de vous recracher du Wikipedia, mais pour comprendre la situation ici, on ne peut pas occulter quelques cours d’Histoire-Géo… Désolé par avance pour les lecteurs du fond de la classe!

Vue du Canal du Mozambique et Madagascar, merci Google!

Mayotte fait partie de l’archipel des Comores, avec les îles de Grande Comore, Mahéli et Anjouan, ayant subit pas loin de cinq siècles de présence coloniale européenne (portugaise et britannique à partir de 1505). La France entre dans le « jeu du quiveutquoi dans l’Océan indien?! » au XVIIIème siècle à l’Ile Maurice, La Réunion, et les Comores se retrouve sous protectorat français à partir de 1848, suite à la vente de Mayotte à la France par le Sultan de l’île en 1841 (en échange de sa protection contre ses voisins comoriens, soutenus jusqu’alors par les britanniques si vous voulez tout savoir!). Sauf que, depuis 1974, et un référendum d’autodétermination proposé aux habitants de tout l’archipel, c’est le divorce: seuls les mahorais (ou « maorés »), ont choisi de rester Français, les autres îles ayant opté pour la création de l’Union des Comores.

Les Comores sans Mayotte donc, nouvel état indépendant, voient s’enchainer les rivalités entres îles et les coups d’états, et s’enfoncent dans la misère (Wikipedia ne dit pas si les populations vivaient mieux avant, quand ils avaient des chaines au pieds!). Bref, Mayotte se développe pour devenir en 2011 le 101ème Département français, et aujourd’hui, comme me le confiait une mahoraise, « les autres îles comoriennes ont 50 ans de retard sur nous, et nous on a 50 ans de retard sur La Réunion! ».

Des problèmes …

Comme vous avez surement dû l’entendre « aux infos » ces derniers mois, l’île se frottent à plusieurs problèmes de taille, plus ou moins entremêlés.

Selon les locaux, l’île est surpeuplée et la population de 310 000 habitants annoncée par la dernière estimation Insee de 2023, soit 825 hab./km2, est une vaste blague. Et c’est aussi ce que dit un rapport officiel de la Cour des comptes publié en juin 2022: « fortement sous-estimé« . Alors je demande naïvement à chaque fois que je rencontre un nouveau maoré: « combien on est sur l’île? ». Et l’on me répond une fourchette de 450 à 550 000, parce que les comoriens ici, « ils viennent et ils font des gosses pour ne pas être expulsés. Puis ils en font 10, parce qu’ils pensent qu’ils auront plus de chance d’être français qu’avec un seul », ou alors « ils s’assurent d’avoir une descendance qui pourra les aider pendant leurs vieux jours, comme en Afrique ». Et le Centre Hospitalier de Mayotte, CHM pour les intimes, est aux aboies: avec près de 12 000 naissances en 2022 pour sept salles d’accouchement (contre 6000 naissances et 13 salles d’accouchement à Bordeaux par exemple), Mayotte est pour la énième année consécutive « la plus grande maternité d’Europe ». Sans compter ceux qui, comme mon collègue Oussama et sa femme, malgré des moyens financiers modestes, préfèrent partir accoucher en métropole parce « qu’au CHM ça craint ».

Vous avez également dû entendre parler des problèmes d’eau. La dernière fois, je tombe sur une info sur France Inter: « Plus de 90 000 personnes privées d’eau en France… blablabla ». Allô la France? C’est pas la France ici? On ne les compte pas les mahorais?! Pour un « boomer » comme moi qui portent haut les valeurs de la France, comme l’égalité d’accès aux soins, le droit d’avoir un toit sur la tête et d’avoir de l’eau courante potable au robinet, c’est la douche froide (jeu de mot, quand tu nous tiens!). D’abord de 16 heures par jour quand je suis arrivé, puis 48 heures, les coupures sont de 72 heures consécutives à l’heure où je vous écris. Et rien ne laisse présager une amélioration: il ne va pas pleuvoir avant Novembre, Décembre, ou peut être même Janvier comme l’année dernière, et l’extension de l’usine de dessalement en construction est prévue pour 2024, voire 2025. Alors moi ça va, je suis un privilégié, mon hôte Airbnb a une cuve pour nous mettre un peu d’eau tous les jours, histoire de prendre une douche et de faire la vaisselle, mais les autres, ils font comment?! A cela s’ajoute l’augmentation des risques sanitaires, avec un possible retour de maladies bien sympatoches comme le choléra et la typhoide, en raison d’un réseau qui n’est plus sous pression… chaud!

Le prix des choses est dingue également. A part quelques fruits (bananes, noix de coco, ananas, …) et quelques tomates, tout semble importé ici: et ce n’est pas donné. Alors il y a bien le pack d’eau Christaline à 6€50, mais la palme revient à ce pot de Mascarpone de 500g de la marque de luxe « Carrefour », à 3€45 en métropole:

On va attendre quelques mois pour se faire un Tiramisu!

Pour finir cette catégorie « problèmes« , il faut que je vous parle de l’insécurité. Après une semaine bien remplie, me voilà d’attaque pour sortir un peu. Et quoi de mieux qu’une soirée salsa pour se divertir?! Je file donc au bar-restaurant le Voulé, dans la capitale Mamoudzou. La soirée se passe bien (si vous ouvrez bien l’oeil, vous devriez me voir dans cette video!) entre rencontres, danses endiablés et rhums arrangés locaux, jusqu’à que je me décide à décoller vers 23h30. A peine mis-je le nez dehors qu’une bonne vingtaine de jeunes, visages couverts et machette à la main, dévalent dans la rue en courant. Oups …! Je re-rentre, le videur ferme les grilles et nous voici bloqués là pendant une bonne heure, entre bruit assourdissant de grenade de désencerclement et fumée de lacrymo – qui s’immisce jusqu’à nos yeux à travers la moindre ouverture, sinon c’est pas drôle! Bref, tous le monde chiale, on se croirait dans une manif des Gilets Jaunes, mais je m’en sors bien. Et merci aux Gendarmes Mobiles soit dit en passant, c’est bon d’être de l’autre coté de temps en temps 😉

Et puis il y a les barrages de poubelles en feu au milieu de la route, visant à piller les voitures qui s’approcheraient sans prendre garde, et les caillassages. Je n’ai pas encore eu la chance d’en être témoin, mais ils parait que les jeunes, entrainés à décrocher les fruits de je ne sais plus quel arbre à coup de pierre depuis tout gosse, te toucheraient une allumette à 40 mètres! Alors je ne passe pas une journée sans voir les gendarmes, qui sont très présents, mais tout ça use les habitants, jusqu’à se demander si c’est bien raisonnable de sortir, ou de faire telle ou telle chose.

Conclusion

Ce billet est assez pessimiste je vous avoue, mais pour moi, qui ne suis que de passage, n’allez rien vous imaginer de négatif: ça va super bien! Je m’éclate dans ce que je fais et je rencontre plein de monde! Je trouve simplement ça dommage: Mayotte, c’est aussi une belle diversité de plages, des baobabs incroyables, un des plus grand lagon du monde (1 500 km2) entouré d’une double barrière de corail – curiosité biologique qui ne compte qu’une dizaine d’occurrences sur notre planète -, offrant une protection pour la faune et la flore marine, des tortues, des dauphins et des plongées extraordinaires! Et puis des gens adorables, qui sont attachés à leur île, et veulent simplement y vivre en paix et le mieux possible.

En conclusion, je me retrouve un peu comme en sortant du cinéma après le film « Les misérables » (je ne sais pas si vous l’avez vu!): la situation est dure, mais le pire est qu’il n’y a aucun espoir à l’horizon, que ce soit sur les thèmes de l’eau, de l’insécurité, du coût de la vie, de la sur-population, … Alors, à quand un vrai geste de l’État pour redonner de l’espoir à ces français oubliés?

A bientôt les amis!